Produits amaigrissants

Des standards dictés par l'industrie, déplorent des experts

Les Canadiens qui veulent maigrir se font jeter de la poudre aux yeux par l’industrie des produits de santé naturels et par le ministère fédéral de la Santé.

C’est le cri du cœur lancé par deux experts à la lecture d’un document que La Presse a obtenu en vertu de la Loi sur l'accès à l’information, après un an d’efforts. On y découvre les 61 recommandations du Groupe de travail sur l’efficacité des produits amaigrissants, qui a été créé en 2011 pour conseiller la Direction des produits de santé naturels de Santé Canada. Jusqu’ici, le gouvernement avait systématiquement refusé de rendre ce rapport public.

Fait à noter : le groupe de travail comptait deux fois plus de participants issus de l’industrie que d’experts en santé (soit huit contre quatre), plus une représentante d’un groupe de patients, révèle le site web de Santé Canada.

Comment définir la perte de poids ? Quelles preuves demander aux fabricants qui prétendent avoir trouvé une recette minceur ? Quelles mentions exiger sur les emballages ? Ces questions et quelques autres ont fait l’objet de débats, parfois tranchés : seriez-vous prêt à payer des dizaines de dollars – à répétition – pour perdre en fin de compte seulement 1 % de votre masse corporelle, soit 2 livres chez une personne de 200 livres ?

Cinq des 13 membres du groupe de travail ont recommandé qu’un impact aussi minime – qui pourrait résulter d’une simple variation hormonale ou d’une perte d’eau éphémère – soit reconnu comme une perte de poids. Autrement, aucun produit ne pourra être qualifié d’amaigrissant, ont-ils justifié.

Autre option : seriez-vous prêt à payer un produit des dizaines de dollars pour éviter de grossir – sans nécessairement maigrir –, s’il faut tout de même manger moins et faire de l’exercice pour y parvenir ? Pour 10 des 13 membres du groupe, il est tout à fait acceptable de vendre de tels produits comme outils de « gestion du poids ».

Les preuves d’efficacité requises ? Pour les 13 membres du groupe, il suffit que 35 % des gens ayant consommé un produit dans le cadre d’une étude n’aient pas grossi. Le consommateur aura alors « une chance raisonnable d’atteindre l’avantage recherché », disent-ils, même si cela revient à reconnaître l’« efficacité » de produits demeurés inutiles pour presque deux personnes sur trois.

Les 13 membres ont aussi recommandé au Ministère de se contenter d’une seule étude pour approuver plusieurs produits.

Et sept membres ont refusé qu’on avise le public des effets aléatoires des produits en faisant précéder les allégations des fabricants par le mot « peut ». Par exemple en écrivant sur l’emballage : ce produit peut aider à gérer son poids.

DES EXPERTS HORRIFIÉS

« Dès la première page, je n’en croyais pas mes yeux ; c’est horrifiant et bien pire que tout ce que j’imaginais ! Tout est formulé pour augmenter les ventes. On ne cherche pas à protéger les consommateurs », s’indigne le Dr Yoni Freedhoff, auteur du blogue Weighty Matters et du livre The Diet Fix, où il dénonce les marchands de faux espoirs.

« En gros, l’industrie dit : on ne vendra rien si on exige une perte de poids minimale », ironise le directeur de l'Institut de médecine bariatrique d’Ottawa.

Faute d’études solides prouvant qu’un produit fait maigrir durablement – voire maigrir tout court –, l’industrie « fait des pirouettes », dit-il. « Un participant affirme qu’il faut penser aux gens qui veulent perdre un peu de poids pour un mariage. Je trouve cela stupéfiant ! C’est la santé des gens qui compte, pas leur apparence. »

« C’est déjà une bonne chose de ne pas grossir, c’est vrai. Mais considérant le coût de ces produits et leurs risques potentiels – d’abus ou de mauvaises interactions avec les médicaments –, la barre devrait être plus haute. D’autant plus que les gens n’achètent pas ces produits pour maintenir leur poids ; ils veulent en perdre. »

Depuis des années, les médecins sont très nombreux à accuser le Ministère d’accepter trop facilement les « preuves » des fabricants de produits naturels, alors qu’elles ne sont, selon eux, pas assez solides. Les recommandations du groupe de travail ne font que confirmer leurs craintes.

« Une petite étude non reproduite ne prouve rien ; c’est tout au plus une lueur d’espoir. Surtout qu’il existe des centaines de supposés journaux scientifiques qui publient des études nulles. »

— Dr Yoni Freedhoff, directeur de l'Institut de médecine bariatrique d'Ottawa

« Un produit efficace et sûr serait un meilleur vendeur instantané. Si les fabricants ne mènent pas d’études, ce n’est pas parce que c’est trop cher. C’est qu’ils doutent d’arriver aux résultats voulus ou qu’ils ont déjà vainement essayé. »

DES « RUSES »

« L’industrie ne veut pas respecter de règles strictes ou de standards scientifiques qui saperaient ses ventes », renchérit le Dr Joël Lexchin, professeur à la faculté de santé de l’Université de York, en Ontario.

Vendre un produit en disant qu’il permet de gérer son poids, d’augmenter son métabolisme ou d’atténuer la faim est « dépourvu de sens », estime cet expert en politique et gestion de la santé. « Il s’agit de simples ruses pour que le consommateur pense que le produit fait quelque chose qu’il ne fait pas vraiment : maigrir. »

Cinq des 13 membres du groupe de travail l’ont eux-mêmes souligné. Contrairement aux huit autres, ils ont recommandé d’inscrire la mise en garde suivante sur les emballages des produits vendus pour gérer son poids : « Consulter un professionnel de la santé avant d’utiliser si vous visez une perte de poids significative ». Sans cette mention, on risque d’« induire les consommateurs en erreur quant à l’efficacité globale des produits », disent-ils.

« C’est horrifiant de laisser des représentants de l’industrie forger des politiques », conclut le Dr Freedhoff.

Le Dr David Lau, qui a participé aux travaux, admet avoir été « un peu surpris » de voir que ces derniers étaient aussi nombreux au sein du groupe. « Mais c’est correct de recueillir leur point de vue, pourvu qu’on recueille aussi celui de plusieurs experts pour hausser la barre », nuance l’expert en obésité et professeur de biochimie à l’Université de Calgary.

« Contrairement aux médicaments, soumis à des règles très strictes, on part à zéro avec les produits naturels. »

— Dr David Lau, expert en obésité et professeur de biochimie à l'Université de Calgary

« Les balises sont encore arbitraires, parce qu’on n’a pas encore de données cliniques. Mais c’est mieux que rien, sinon le public n’est pas du tout protégé. »

LE CANADA UN PIONNIER, SELON L’INDUSTRIE

Avant 2004 – quand Santé Canada a décidé de soumettre les produits naturels à un processus d’approbation –, les fabricants pouvaient vendre n’importe quoi. Le Canada est « un pionnier » dans la réglementation de ces produits, estime donc la Canadian Health Food Association, qui représente l’industrie.

« Bien peu de gens connaissent le long processus d’évaluation avant la mise en marché des produits de santé naturels », écrit l’association dans un courriel. Une centaine d’employés étudient les demandes de licence des fabricants et ces demandes doivent « démontrer que le produit est sûr, efficace et de haute qualité ».

Impossible de savoir quelles recommandations du groupe de travail ont finalement été retenues. Le Ministère fédéral a refusé pendant un an de transmettre la moindre information à leur sujet. Relancé la semaine dernière par La Presse, il n’a pas répondu.

Dans un courriel envoyé l’an dernier, il affirmait que les produits vendus pour perdre du poids devaient permettre de réduire sa masse corporelle de 5 % à 10 %. Il avait alors précisé qu’aucun fabricant n’avait encore réussi à démontrer qu’un produit permettait d’atteindre un tel objectif.

Parmi les produits approuvés par le Ministère en 2008, on trouve malgré tout un vaporisateur présenté comme un « remède homéopathique qui aide à la perte de poids ». Santé Canada n’a pas expliqué pourquoi.

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